jeudi 3 juillet 2014

Tous les bateaux, tous les oiseaux

https://www.youtube.com/watch?v=_FNwaGahTWo

Eduqués, diplômés, parisiens, supérieurs

"Irréductiblement parisienne, endémique de la bourgeoisie intellectuelle de gauche, invariable, monotone comme la pluie, totalement inexportable, il est à craindre qu'elle ne franchira jamais les frontières de la France. Le concept même d'actrice éduquée, diplômée, parisienne, supérieure, ne jouant que des rôles de jeunes femmes éduquées, diplômés, parisiennes, supérieures, dans des films réalisés pour la plupart d'entre eux par des metteurs en scène éduqués, diplômés, parisiens, supérieures, que glorifient dans leurs articles des critiques éduqués, diplômés, parisiens, supérieurs, n'existe pas dans vos pays, n'existera jamais. Quand je dis éduqués, diplômés, parisiens, supérieurs, il faut entendre privilégiés, conservateurs, il faut entendre stériles, scolaires, sclérosés, il faut entendre gâtés, il faut entendre appliqués, il faut entendre mimétiques, il faut entendre ennuyeux, inoffensifs, académiques. Il faut entendre qui ne sont pas en danger mais au contraire confortablement installés. Il faut entendre qui souhaitent que rien ne bouge et que tout reste comme ça c'est parfait. Que tout reste comme ça ne bougeons rien c'est parfait!" Eric Reinhardt in Cendrillon

mardi 1 juillet 2014

Phèdre

Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d’Égée
Sous les lois de l’hymen2 je m’étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,
Athènes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps, et transir3 et brûler.
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables.
Par des vœux assidus je crus les détourner :
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.
D’un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l’encens :
Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,
J’adorais Hippolyte, et le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisais fumer.
J’offrais tout à ce dieu, que je n’osais nommer.
Je l’évitais partout. Ô comble de misère !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.
Contre moi-même enfin j’osai me révolter :
J’excitai mon courage à le persécuter.
Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,
J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;
Je pressai son exil, et mes cris éternels
L’arrachèrent du sein, et des bras paternels.
Je respirais, Œnone. Et depuis son absence,
Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence ;
Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,
De son fatal hymen je cultivais les fruits.
Vaines précautions ! Cruelle destinée !
Par mon époux lui-même à Trézène amenée,
J’ai revu l’Ennemi que j’avais éloigné :
Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.
Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C’est Vénus toute4 entière à sa proie attachée.

Le récit de Théramène

Phèdre (1677) , Racine
THERAMENE
A peine nous sortions des portes de Trézène,
Il était sur son char. Ses gardes affligés
Imitaient son silence, autour de lui rangés ;
Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes ;
Sa main sur ses chevaux laissait flotter les rênes ;
Ses superbes coursiers, qu'on voyait autrefois
Pleins d'une ardeur si noble obéir à sa voix,
L'oeil morne maintenant et la tête baissée,
Semblaient se conformer à sa triste pensée.
Un effroyable cri, sorti du fond des flots,
Des airs en ce moment a troublé le repos ;
Et du sein de la terre, une voix formidable
Répond en gémissant à ce cri redoutable.
Jusqu'au fond de nos coeurs notre sang s'est glacé ;
Des coursiers attentifs le crin s'est hérissé.
Cependant, sur le dos de la plaine liquide,
S'élève à gros bouillons une montagne humide ;
L'onde approche, se brise, et vomit à nos yeux,
Parmi des flots d'écume, un monstre furieux.
Son front large est armé de cornes menaçantes ;
Tout son corps est couvert d'écailles jaunissantes ;
Indomptable taureau, dragon impétueux,
Sa croupe se recourbe en replis tortueux.
Ses longs mugissements font trembler le rivage.
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage,
La terre s'en émeut, l'air en est infecté ;
Le flot qui l'apporta recule épouvanté.
Tout fuit ; et sans s'armer d'un courage inutile,
Dans le temple voisin chacun cherche un asile.
Hippolyte lui seul, digne fils d'un héros,
Arrête ses coursiers, saisit ses javelots,
Pousse au monstre, et d'un dard lancé d'une main sûre,
Il lui fait dans le flanc une large blessure.
De rage et de douleur le monstre bondissant
Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,
Se roule, et leur présente une gueule enflammée
Qui les couvre de feu, de sang et de fumée.
La frayeur les emporte, et sourds à cette fois,
Ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix ;
En efforts impuissants leur maître se consume ;
Ils rougissent le mors d'une sanglante écume.
On dit qu'on a vu même, en ce désordre affreux,
Un dieu qui d'aiguillons pressait leur flanc poudreux.
A travers des rochers la peur les précipite.
L'essieu crie et se rompt : l'intrépide Hippolyte
Voit voler en éclats tout son char fracassé ;
Dans les rênes lui−même, il tombe embarrassé.
Excusez ma douleur. Cette image cruelle
Sera pour moi de pleurs une source éternelle.
J'ai vu, Seigneur, j'ai vu votre malheureux fils
Traîné par les chevaux que sa main a nourris.
Il veut les rappeler, et sa voix les effraie ;
Ils courent ; tout son corps n'est bientôt qu'une plaie.
De nos cris douloureux la plaine retentit.
Leur fougue impétueuse enfin se ralentit ;
Ils s'arrêtent non loin de ces tombeaux antiques
Où des rois ses aïeux sont les froides reliques,
J'y cours en soupirant, et sa garde me suit.
De son généreux sang la trace nous conduit,
Les rochers en sont teints, les ronces dégouttantes
Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes.
J'arrive, je l'appelle, et me tendant la main,
Il ouvre un oeil mourant qu'il referme soudain :
"Le ciel, dit−il, m'arrache une innocente vie.
Prends soin après ma mort de la triste Aricie.
Cher ami, si mon père un jour désabusé
Plaint le malheur d'un fils faussement accusé,
Pour apaiser mon sang et mon ombre plaintive,
Dis−lui qu'avec douceur il traite sa captive,
Qu'il lui rende..." A ce mot, ce héros expiré
N'a laissé dans mes bras qu'un corps défiguré,
Triste objet, où des dieux triomphe la colère.
Et que méconnaîtrait l'oeil même de son père.

L'anus solaire de Georges Bataille



Il est clair que le monde est purement parodique, c'est-à-dire que chaque chose qu'on regarde est la parodie d'une autre, ou encore la même chose sous une forme décevante.

Depuis que les phrases circulent dans les cerveaux occupés à réfléchir, il a été procédé à une identification totale, puisque à l'aide d'un copule chaque phrase relie une chose à l'autre; et tout serait visiblement lié si l'on découvrait d'un seul regard dans sa totalité le tracé laissé par un fil d'Ariane, conduisant la pensée dans son propre labyrinthe.

Mais le copule des termes n'est pas moins irritant que celui des corps. Et quand je m'écrie : JE SUIS LE SOLEIL, il en résulte une érection intégrale, car le verbe être est le véhicule de la frénésie amoureuse.

Tout le monde a conscience que la vie est parodique et qu'il manque une interprétation.

Ainsi le plomb est la parodie de l'or.

L'air est la parodie de l'eau.

Le cerveau est la parodie de l'équateur.

Le coït est la parodie du crime.

L'or, l'eau, l'équateur ou le crime peuvent indifféremment être énoncés comme le principe des choses.

Et si l'origine n'est pas semblable au sol de la planète paraissant être la base, mais au mouvement circulaire que la planète décrit autour d'un centre mobile, une voiture, une horloge ou une machine à coudre peuvent également être acceptées en tant que principe générateur.

Les deux principaux mouvements sont le mouvement rotatif et le mouvement sexuel, dont la combinaison s'exprime par une locomotive composée de roues et de pistons.

Ces deux mouvements se transforment l'un en l'autre réciproquement.

C'est ainsi qu'on s'aperçoit que la terre en tournant fait coïter les animaux et les hommes et (comme ce qui résulte est aussi bien la cause que ce qui provoque) que les animaux et les hommes font tourner la terre en coïtant.

C'est la combinaison ou transformation mécanique de ces mouvements que les alchimistes recherchaient sous le nom de pierre philosophale.

C'est par l'usage de cette combinaison de valeur magique que la situation actuelle de l'homme est déterminée au milieu des éléments.

Un soulier abandonné, une dent gâtée, un nez trop court, le cuisinier crachant dans la nourriture de ses maîtres sont à l'amour ce que le pavillon est à la nationalité.

Un parapluie, une sexagénaire, un séminariste, l'odeur des oeufs pourris, les yeux crevés des juges sont les racines par lesquelles l'amour se nourrit.

Un chien dévorant l'estomac d'une oie, une femme ivre qui vomit, un comptable qui sanglote, un pot à moutarde représentent la confusion qui sert à l'amour de véhicule.

Un homme placé au milieu des autres est irrité de savoir pourquoi il n'est pas l'un des autres.

Couché dans un lit auprès d'une fille qu'il aime, il oublie qu'il ne sait pas pourquoi il est lui au lieu d'être le corps qu'il touche.

Sans rien en savoir, il souffre à cause de l'obscurité de l'intelligence qui l'empêche de crier qu'il est lui même la fille qui oublie sa présence en s'agitant dans ses bras.

Ou l'amour, ou la colère infantile, ou la vanité d'une douairière de province, ou la pornographie cléricale, ou le solitaire d'une cantatrice égarent des personnages oubliés dans des appartements poussiéreux.

Ils auront beau se chercher avidement les uns les autres : ils ne trouveront jamais que des images parodiques et s'endormiront aussi vides que des miroirs.

La fille absente et inerte qui est suspendue à mes bras sans rêver n'est pas plus étrangère à moi que la porte ou la fenêtre à travers lesquel[le]s je peux regarder ou passer.

Je retrouve l'indifférence (qui lui permet de me quitter) quand je m'endors par incapacité d'aimer ce qui arrive.

Il lui est impossible de savoir qui elle retrouve quand je l'étreins parce qu'elle réalise obstinément un oubli entier.

Les systèmes planétaires qui tournent dans l'espace comme des disques rapides et dont le centre se déplace également en décrivant un cercle infiniment plus grand ne s'éloignent continuellement de leur propre position que pour revenir vers elle en achevant leur rotation.

Le mouvement est la figure de l'amour incapable de s'arrêter sur un être en particulier et passant rapidement de l'un à l'autre.

Mais l'oubli qui le conditionne ainsi n'est qu'un subterfuge de la mémoire.

Un homme s'élève aussi brusquement qu'un spectre sur un cercueil et s'affaisse de la même façon.

Il se relève quelques heures après puis il s'affaisse de nouveau et ainsi de suite chaque jour : ce grand coït avec l'atmosphère céleste est réglé par la rotation terrestre en face du soleil.

Ainsi, bien que le mouvement de la vie terrestre soit rythmé par cette rotation, l'image de ce mouvement n'est pas la terre tournante mais la verge pénétrant la femelle et en sortant presque entièrement pour y rentrer.

L'amour et la vie ne paraissent individuels sur la terre que parce que tout y est rompu par des vibrations d'amplitude et de durée diverses.

Toutefois, il n'y a pas de vibrations qui ne soient pas conjuguées avec un mouvement continu circulaire, de mime que sur la locomotive qui roule à la surface de la terre, image de la métamorphose continuelle.

Les êtres ne trépassent que pour naître à la manière des phallus qui sortent des corps pour y entrer.

Les plantes s'élèvent dans la direction du soleil et s'affaissent ensuite dans la direction du sol.

Les arbres hérissent le sol terrestre d'une quantité innombrable de verges fleuries dressées vers le soleil.

Les arbres qui s'élancent avec force finissent brûlés par la foudre ou abattus, ou déracinés. Revenus au sol, ils se relèvent identiquement avec une autre forme.

Mais leur coït polymorphe est fonction de la rotation terrestre uniforme.

L'image la plus simple de la vie organique unie à la rotation est la marée.

Du mouvement de la mer, coït uniforme de la terre avec la lune, procède le coït polymorphe et organique de la terre et du soleil.

Mais la première forme de l'amour solaire est un nuage qui s'élève au dessus de l'élément liquide.

Le nuage érotique devient parfois orage et retombe vers la terre sous forme de pluie pendant que la foudre défonce les couches de l'atmosphère.

La pluie se redresse aussitôt sous forme de plante immobile.

La vie animale est entièrement issue du mouvement des mers et, à l'intérieur des corps, la vie continue à sortir de l'eau salée.

La mer a joué ainsi le rôle de l'organe femelle qui devient liquide sous l'excitation de la verge.

La mer se branle continuellement,

Les éléments solides contenus et brassés par l'eau animée d'un mouvement érotique en jaillissent sous forme de poissons volants.

L'érection et le soleil scandalisent de même que le cadavre et l'obscurité des caves.

Les végétaux se dirigent uniformément vers le soleil et, au contraire, les êtres humains, bien qu'ils soient phalloïdes, comme les arbres, en opposition avec les autres animaux, en détournent nécessairement les yeux.

Les yeux humains ne supportent ni le soleil, ni le coït, ni le cadavre, ni l'obscurité, mais avec des réactions différentes..

Quand j'ai le visage injecté de sang, il devient rouge et obscène.

Il trahit en même temps, par des réflexes morbides, l'érection sanglante et une soif exigeante d'impudeur et de débauche criminelle.

Ainsi je ne crains pas d'affirmer que mon visage est un scandale et que mes passions ne sont exprimées que par le JÉSUVE.

Le globe terrestre est couvert de volcans qui lui servent d'anus.

Bien que ce globe ne mange rien, il rejette parfois au dehors le contenu de ses entrailles.

Ce contenu jaillit avec fracas et retombe en ruisselant sur les pentes du Jésuve, répandant partout la mort et la terreur.

En effet, les mouvements érotiques du sol ne sont pas féconds comme ceux des eaux mais beaucoup plus rapides.

La terre se branle parfois avec frénésie et tout s'écroule à sa surface.

Le Jésuve est ainsi l'image du mouvement érotique donnant par effraction aux idées contenues dans l'esprit la force d'une éruption scandaleuse.

Ceux en qui s'accumule la force d'éruption sont nécessairement situés en bas.

Les ouvriers communistes apparaissent aux bourgeois aussi laids et aussi sales que les parties sexuelles et velues ou parties basses : tôt ou tard il en résultera une éruption scandaleuse au cours de laquelle les têtes asexuées et nobles des bourgeois seront tranchées.

Désastres, les révolutions et les volcans ne font pas l'amour avec les astres.
Les déflagrations érotiques révolutionnaires et volcaniques sont en antagonisme avec 1e ciel.

De même que les amours violents, ils se produisent en rupture de ban avec la fécondité.

A la fécondité céleste s'opposent les désastres terrestres, image de l'amour terrestre sans condition, érection sans issue et sans règle, scandale et terreur.

C'est ainsi que l'amour s'écrie dans ma propre gorge : je suis le Jésuve, immonde parodie du soleil torride et aveuglant.

Je désire être égorgé en violant la fille à qui j'aurai pu dire : tu es la nuit.

Le Soleil aime exclusivement la Nuit et dirige vers la terre sa violence lumineuse, verge ignoble, mais il se trouve dans l'incapacité d'atteindre le regard ou la nuit bien que les étendues terrestres nocturnes se dirigent continuellement vers l'immondice du rayon solaire.

L'anneau solaire est l'anus intact de son corps à dix-huit ans auquel rien d'aussi aveuglant ne peut être comparé à l'exception du soleil, bien que l'anus soit la nuit.

Georges Bataille [1927]

La scène finale de Cosmopolis de Cronenberg

https://www.youtube.com/watch?v=PaaFA3D79Es

vendredi 27 juin 2014

Clown de Michaux

Un jour,
Un jour, bientôt peut-être,
Un jour j'arracherai l'ancre qui tient mon navire loin des mers
Avec la sorte de courage qu'il faut pour être rien et rien que rien.
Je lâcherai ce qui paraissait m'être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D'un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînements "de fil en aiguille"
Vide de l'abcès d'être quelqu'un, je boirai à nouveau l'espace nourricier.
A coups de ridicule, de déchéances (qu'est-ce que la déchéance?), par éclatement.
Par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j'expulserai de moi la forme qu'on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage
Et à mes semblables, si dignes, si dignes mes semblables.
Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une immense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m'avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l'estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.
CLOWN, abattant dans la risée, dans l'esclaffement, dans le grotesque, le sens que toute lumière je m'étais fait de mon importance.
Je plongerai.
Sans bourse dans l'infini-esprit sous-jacent ouvert à tous, ouvert moi-même à une nouvelle et incroyable rosée.
A force d'être nul
Et ras
Et risible...